La solitude du vainqueur, Paolo Coelho, 158 159 160 161, Edititions "J'ai Lu"
« Le diamant. Brillant, si l’on préfère l’appeler ainsi. Tout le monde le sait, un simple morceau de charbon, travaillé par la chaleur et par le temps. Comme il ne contient rien d’organique, il est impossible de savoir le temps qu’il faut pour que sa structure soit modifiée, mais les géologues estiment que cela prend entre trois cents millions et un milliard d’années. Généralement formé à 150 kilomètres de profondeur, il remonte peu à peu à la surface, ce qui permet la dépuration du minéral.
Le diamant, la matière la plus résistante et la plus dure créée par la nature, qui ne peut être coupé et taillé que par un autre. Les particules, les restes de cette taille, seront utilisées dans l’industrie, dans des machines permettant de polir, de couper, et c’est tout. Le diamant sert uniquement de bijou, et en cela réside son importance : il est absolument inutile à quoi que ce soit d’autre.
La suprême manifestation de la vanité humaine.
Il y a quelques décennies, le monde paraissant se tourner vers les choses fonctionnelles et vers l’égalité sociales, les diamants disparaissaient du marché. Jusqu’à ce que la plus grande compagnie minière du monde, dont le siège était en Afrique du sud, décide de contacter l’une des meilleures agences de publicité de la planète. La superclasse rencontre la superclasse, des recherches sont effectués, et il en résulte une seule et unique phrase de quatre mots : les diamants sont éternels.
Voilà, le problème était résolu, les joailliers commencèrent à investir dans l’idée, et l’industrie redevint florissante. Si les diamants sont éternels, rien de mieux pour exprimer l’amour, qui théoriquement doit aussi être eternel. Rien de plus déterminant pour distinguer la superclasse des milliards d’habitants qui se trouve au pied de la pyramide. La demande de pierres augmenta, les prix commencèrent à monter. En quelques années, ce groupe sud-africain, qui jusque-là dictait les règles du marché international, se vit entouré de cadavres.
… cette industrie inutile brasse autour de 50 milliards de dollars par an, emploie une gigantesque armée d’ouvriers dans les mines, de transporteurs, de compagnies privées de sécurité, d’ateliers de taille, d’assurances, de vendeurs en gros et dans les boutiques du luxe. Il ne se rend pas compte qu’elle commence dans la boue et traverse des fleuves de sang, avant d’arriver dans une vitrine.
La boue dans laquelle se trouve le travailleur qui passe sa vie à chercher la pierre qui va enfin lui apporter la fortune désirée. Il en trouve plusieurs et vend pour une moyenne de 20 dollars quelque chose qui coutera finalement 10 mille dollars au consommateur. Mais en fin de compte il est content, parce que là où il vit les gens gagnent moins de 50 dollars par an, et cinq pierres suffisent pour lui permettre de mener une vie courte et heureuse, vu que les conditions de travail sont les pires possibles.
Les pierres sont remises à des acheteurs non identifiés et immédiatement repassées à des armées non régulières au Libéria, au Congo ou en Angola. Là-bas, un homme est désigné pour se rendre sur une piste d’atterrissage illégale, entouré de gardes armés jusqu’aux dents. Un avion se pose, un homme en costume descend, accompagné d’un autre en général en manches de chemise, avec une petite mallette. Ils se saluent froidement. L’homme aux gardes du corps remet de petits paquets ; peut-être par superstition ; ils sont enveloppés dans des chaussettes usées.
L’homme en manches de chemise retire de sa poche une lentille spéciale, la place sur son œil gauche, et commence à vérifier pièce par pièce. Au bout d’une heure et demie il a déjà une idée du matériel ; alors il retire de sa valise une petite balance électronique de précision, et il vide les chaussettes sur le plateau. Quelques calculs sont faits sur un bout de papier. Le matériel est placé dans la mallette avec la balance, l’homme en costume fait un signe aux gardes armés, et cinq ou six d’entre eux montent dans l’avion. Ils commencent à décharger de grandes caisses, qui sont laissées là, au bord de la piste, pendant que l’avion décolle. Toute l’opération n’a pas duré plus d’une demi-journée.
Les grandes caisses sont ouvertes. A l’intérieur, fusils de précision, mines antipersonnel, balles qui explosent au premier impact, lançant des dizaines de petites boules de métal mortifères. L’armement est livré aux mercenaires et aux soldats, et bientôt le pays se trouve de nouveau confronté à un coup d’état d’une cruauté sans limites. Des tribus entières sont assassinées, des enfants perdent pieds et bras à cause des munitions à fragmentation, des femmes sont violées. Pendant ce temps, très loin de là- en général à Anvers ou à Amsterdam, des hommes sérieux et surs d’eux-mêmes travaillent avec tendresse, dévouement et amour, coupant soigneusement les pierres, s’émerveillant de leur propre habileté, hypnotisés par les étincelles qui commencent à apparaitre sur chacune des nouvelles faces de ce morceau de charbon dont la structure à été transformée par le temps. Diamant coupant le diamant.
Des femmes hurlant de désespoir d’un coté, le ciel couvert de nuages de fumée. De l’autre, de beaux édifices anciens visibles à travers des salons bien éclairés